La découverte du système HLA par le Professeur Jean DAUSSET prix Nobel de Médecine
Histoire des sciences / Évolution des disciplines et histoire des découvertes – Avril 2015
La découverte du système HLA par le Professeur Jean DAUSSET prix Nobel de Médecine
par Edgardo D. Carosella, membre de l'Académie des sciences '
Jean Dausset reçut le Prix Nobel de Médecine en 1980 pour sa découverte du Complexe Majeur d’Histocompatibilité Humaine (HLA).
Après une année sabbatique passée à la Harvard Medical School (Peter Bent Brigham Hospital), Jean Dausset retourne au Centre de Transfusion de l’hôpital Saint-Antoine et s’intéresse aux malades qui ont un nombre anormalement bas de globules blancs (leucopéniques). A partir de leur sérum, il découvre l’existence d’anticorps capables d’agglutiner les globules blanc d’un autre individu. Ce fut l’expérience princeps qui allait orienter toute sa vie (1952).
Rapidement, il s’avère que ces anticorps antiglobules blancs sont dus aux nombreuses transfusions que le malade a reçues et qu’il ne s’agit pas d’auto-anticorps responsables de la leucopénie. Il en déduit qu’il existe des groupes de globules blancs, comme il existe les groupes de globules rouges. Mais, à la différence des groupes sanguins A, B et O, les anticorps contre les globules blancs n’existent pas à l’état naturel ; l’immunisation par transfusion ou par grossesse est ici nécessaire.
C’est alors que Jean Dausset imagine une stratégie simplificatrice : utiliser le sang d’un seul et même donneur pour transfuser le malade qui, de ce fait, ne pourra s’immuniser que contre les globules blancs d’un seul donneur. Ce qui fut fait. Au bout de quelques semaines, Jean Dausset constate l’apparition d’anticorps qui n’agglutinent que les leucocytes de la moitié du panel des donneurs volontaires. Ainsi 50% de la population française possède un premier groupe leucocytaire, dénommé MAC (les trois initiales des donneurs du panel) qui n’est pas agglutiné par ce sérum. Cette découverte fut publiée dans l’article princeps paru en 1958 dans Acta Haematologica où Jean Dausset soulignait déjà l’importance possible de ces groupes en transplantation.
Deux autres équipes avaient adopté la technique de leucoagglutination, l’une en Hollande, conduite par J.J. van Rood, l’autre en Californie dirigée par Rose Payne. La première démontra qu’il existe parmi ces groupes une opposition très nette, dite allélique, divisant la population en deux groupes (4a et 4b), la deuxième qu’il existe 3 groupes distincts, produits probables d’un même gène (LA1, LA2, LA3).
Commence alors une intense collaboration internationale. Dès 1965, des rencontres entre les diverses équipes se tiennent régulièrement. Ce sont des “workshops ” ou ateliers pendant lesquels un même matériel biologique est distribué à l’ensemble des équipes.
Jean Dausset fut le premier à réaliser la complexité du système génétique, analogue au système H2 de la souris. Pour démontrer son hypothèse, il testa 50 sérums sur 50 individus à l’aide de deux techniques : leucoagglutination et test de lyse des leucocytes. L’analyse de cet énorme tableau permettait d’affirmer l’existence d’au moins 8 groupes qui devaient appartenir à un système unique que Jean Dausset dénomma Hu-1, selon la nomenclature proposée par George Snell pour les systèmes analogues au système H2 “Hu ” pour homme et “1 ” pour le premier système.
Il fallait ensuite prouver que, comme le système H2, le système Hu-1 détermine le devenir des greffes. En 1964, avec l’immunologiste-chirurgien américain Félix Rapaport, il pratique une série de greffes de peau sur des volontaires et montre qu’il y a bien une corrélation entre la compatibilité du système Hu- 1 et la survie des greffes de peau. Les groupes leucocytaires sont en réalité des groupes tissulaires ouvrant la voie à la transplantation d’organes.
Etudiant les malades greffés de reins, Jean Dausset a pu montrer que la survie du greffon était corrélée au nombre d’incompatibilités dans le système Hu-1, devenu entre-temps HLA (Human Leucocyte Antigen), les meilleures survies étant obtenues lorsque le donneur, un frère ou une s œur, avait reçu le même complexe HLA de chacun de leurs parents. Mais en pratique, bien des malades recevaient des reins d’individus non apparentés. Pour répondre à cet impératif, Jean Dausset crée le premier organisme d’échange d’organes, France- Transplant. Ce fut là l’embryon des échanges qui allaient devenir mondiaux et être appliqués aux autres organes : c œur, foie, pancréas.
Dès 1968, Jean Dausset a l’intuition que ces groupes tissulaires peuvent témoigner de certaines susceptibilités à des maladies, et ceci malgré l’échec quasi-total de cette conception appliquée au système de groupes sanguins ABO. S’appuyant sur l’existence de corrélation entre le système H2 et des leucémies murines, Jean Dausset s’applique, le premier, à en trouver l’équivalent chez l’homme.
De nombreuses équipes dans le monde s’associent à ses recherches et de nombreuses associations sont établies. Le dépistage, dans une famille ou dans la population générale, d’individus susceptibles de développer une certaine maladie s’ils possèdent 1’allèle correspondant devient possible. Ceci conduit Jean Dausset à proposer, dès 1972, le concept de médecine prédictive.
La description détaillée du système HLA découvert par Jean Dausset a eu des conséquences considérables, tant sur le plan philosophique qu’en biologie fondamentale et en thérapeutique :
- 1) Le polymorphisme extrême du système HLA a permis la démonstration que chaque homme est unique. Il y a tant de combinaisons possibles entre les allèles du système HLA que pratiquement chaque formule est unique.
- 2) En biologie fondamentale, la découverte du système HLA a permis de comprendre l’un des mécanismes essentiels de la défense immunitaire, c’est-à-dire la reconnaissance du soi et du non-soi grâce à la présentation par la molécule HLA des peptides étrangers.
- 3) Sur le plan thérapeutique, la conséquence la plus évidente de la découverte du système HLA est son application immédiate à la transplantation d’organes et à la greffe de moelle osseuse.
- 4) Enfin, la découverte du système HLA a permis d’associer de très nombreuses affections à tel ou tel allèle du système HLA. Jean Dausset avait pressenti l’importance de cette médecine prédictive qui allait s’étendre non seulement aux maladies associées au système HLA, mais aussi à d’autres gènes de l’ensemble du génome. Mieux encore et a contrario, il a été trouvé que d’autres allèles permettaient une résistance à ces mêmes maladies. Ainsi, en 1972, Jean Dausset donna origine au concept de médecine prédictive. Il insista cependant sur la prudence avec laquelle elle devait être mise en œuvre afin de ne pas provoquer, chez les individus sains, des angoisses inutiles. Jean Dausset avait pressenti l’importance de cette médecine qui s’étend désormais non seulement aux maladies associées au système HLA, mais aussi à d’autres gènes de l’ensemble du génome. C’est ce qui l’a poussé à créer, en 1984, le C.E.P.H., Centre d’Etude du Polymorphisme Humain, dans le but de déceler, dans l’ensemble du génome, les gènes de prédisposition, jusque-là seulement suspectés, en dehors de ceux compris dans le système HLA. Pour y parvenir, il fallait au préalable établir les cartes génétique et physique du génome humain.
Jean Dausset met alors à la disposition de la communauté scientifique les familles qu’il avait recrutées pour étudier la génétique du système HLA. Ray White, qui avait décrit les premiers marqueurs de 1’ADN (les R.F.L.P.) s’associe au projet en y ajoutant des familles nombreuses de l’Utah. Une centaine de laboratoires dans le monde collabore à ce projet. Ce fut et cela reste aujourd’hui encore le premier matériel biologique international de référence. Le C.E.P.H. a pu ainsi écrire les premières cartes fournies en marqueurs du génome humain, qui par la suite ont permis le clonage et l’identification du gène, une avance majeure dans la génétique médicale.
La découverte du système HLA par le Professeur Jean DAUSSET, Prix Nobel de Médecine - Edgardo D. Carosella Histoire des sciences / Évolution des disciplines et histoire des découvertes – Avril 2015